Mélanie Vives

Article écrit par : Mélanie Fenaert
Première mise en ligne le 13 février 2020
Vives les escape games !

Bonjour Mélanie, tu as accepté de répondre à nos questions, merci ! Tu es autrice d’escape books et de boîtes de jeu d’évasion, ça nous le savions, mais en nous penchant sur tes activités nous découvrons aussi une journaliste à L’Équipe, une serial-testeuse d’escape rooms (plus de 500 !) ainsi qu’à ton actif un certain nombre d’escape books. Peux-tu nous en dire plus sur ton parcours ?

Je suis diplômée de l’école de journalisme de Bordeaux et j’ai rejoint la rédaction de L’Équipe en 2013. J’ai toujours aimé les jeux d’énigmes, les point and click, les chasses au trésor, le géocaching… Le 5 avril 2014, j’ai découvert les escape games en jouant la toute première salle de France [1], qui avait ouvert quatre mois auparavant. Depuis, je les enchaîne inlassablement et je fais aujourd’hui partie de l’équipe du site EscapeGame.fr, qui référence et teste les escape rooms partout en France. En 2016, nous avons lancé un livre-jeu Escape Game aux éditions Mango. C’est rapidement devenu une collection de livres et de boîtes de jeu qui propose aujourd’hui vingt titres et que je codirige avec Rémi Prieur. Nous avons aussi créé la collection Escape Game Junior aux éditions Fleurus, qui s’adresse aux 9-12 ans. Et nous préparons une troisième collection, cette fois destinée aux enfants dès 6 ans et dont les premiers livres sortiront à la rentrée 2020.

Comment t’y prends-tu pour construire un livre-jeu ? L’envisages-tu différemment selon le public, enfants ou adultes ? Des outils de création privilégiés ?

Pour construire un livre-jeu Escape Game, je procède de la même manière qu’il soit destiné aux adultes ou aux enfants. Il faut d’abord cibler une thématique, puis resserrer le spectre en imaginant une intrigue précise et en déterminant le rôle qu’aura le joueur au sein de cette histoire. L’étape suivante, c’est de dérouler toute la trame scénaristique, étape par étape. Ce n’est qu’à partir de ce moment-là qu’on peut réfléchir à des énigmes. Le but est qu’elles s’intègrent toujours le plus naturellement possible au scénario.
Tous nos textes et prototypes sont livrés sur des fichiers de la suite bureautique de Google. On se sert quasi exclusivement de ces outils : on écrit nos textes sur Docs, on crée nos chemins de fer [2] sur Sheets ; et on bricole des maquettes schématiques annotées de manière très détaillée sur Slides, sur lesquelles s’appuient ensuite les illustrateurs et graphistes à qui on fait appel.

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Tu as créé plusieurs livres-jeux illustrés, notamment avec Rémi Prieur et Benjamin Bouwyn. Nous avons pu jouer à l’un d’entre eux, sobrement nommé “Escape Game”. Il contient trois aventures aux univers très différents, qui parviennent à recréer un bon nombre des mécaniques des escape rooms (fouille, déductions, codes, outils numériques, imbrication…). Peux-tu nous en dire plus sur cette création à trois ?

L’écriture du tout premier tome, dont le titre complet est « Escape Game : saurez-vous vous évader de ces trois aventures ? », a constitué un vrai challenge. Lorsque nous avons commencé à travailler dessus, en mai 2016, ce type de livres-jeux n’existait pas et tout était alors à imaginer. Les éditions Mango nous avaient donné carte blanche. Nous avons passé de longues soirées à brainstormer. Notre but était que les joueurs puissent, une fois ce livre en main, retrouver au maximum les sensations de l’escape game. Pour cela, on s’est attachés à retranscrire les principales mécaniques des jeux d’évasion. La plus grosse difficulté a été de réussir à injecter des manipulations, à utiliser le livre en tant qu’objet. Nous voulions aussi proposer des gameplays différents pour chacune des aventures, imaginer trois manières variées de naviguer dans le jeu et de progresser dans la narration. Un autre de nos objectifs était d’être le moins bavard possible, de faire en sorte que les illustrations et les photos priment toujours sur les textes.
Nous sommes particulièrement fiers du succès de ce premier tome, qui s’est déjà écoulé à plus de 30 000 exemplaires en France et qui est aujourd’hui traduit et disponible en néerlandais, en allemand, en portugais et en russe.

De plus en plus d’enseignants et formateurs créent et utilisent des escape games à des fins pédagogiques, pour de multiples raisons : insuffler de la collaboration au sein de la classe, motiver, faire découvrir des notions autrement, réviser… Que penses-tu de ce phénomène ?

J’envie les élèves qui découvrent l’escape game avec leur instituteur et leurs camarades de classe ! J’aurais aimé avoir cette chance, plutôt que de faire des activités pâte à sel… On apprend jamais aussi bien qu’en s’amusant, j’espère donc que cette tendance va s’installer durablement. L’escape game véhicule en outre des valeurs d’entraide et de coopération ainsi que l’idée que chacun peut apporter sa pierre à un édifice, ce qui est précieux pour souder les liens et peut même en créer.

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Lors d’une conférence organisée par ÉPhiScience au CRI [3], il a été annoncé qu’on ne s’improvise pas Game designer. Quels conseils donnerais-tu aux enseignants et formateurs qui se lancent dans les escape games pédagogiques ?

Game designer est un métier à part entière et aucun métier ne s’improvise ! Cela dit je pense que, de la même manière qu’il n’est pas indispensable d’avoir fait une école de journalisme pour être journaliste, il n’est pas forcément nécessaire de passer par une école de game design pour créer des jeux en général et des escape games en particulier. C’est avant tout un métier de passionnés : ce qui compte si l’on veut créer une salle, c’est d’en avoir joué pas mal, d’avoir pris le temps de les analyser, de réfléchir à ce qui était bien ou pas dans les rooms qu’on a testées, de se demander pourquoi ce qui était bien l’était et inversement. Si l’on a ce genre de recul, on peut déjà éviter pas mal d’écueils dans son jeu. Ensuite, chaque énigme créée doit être testée et retestée : si un retour négatif ou une ambiguïté revient plusieurs fois dans la bouche des testeurs, ils doivent absolument être pris en compte.

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D’après toi, peut-on trouver une dimension pédagogique aux livres et boîtes de jeux d’évasion du commerce ?

Je pense, oui ! D’une manière générale, les jeux d’énigmes et d’enquête permettent de travailler son sens logique, ses capacités de déduction et d’analyse... Nos livres-jeux Escape Game Junior ont d’ailleurs une dimension pédagogique directe puisqu’ils intègrent au fil du scénario plusieurs encadrés « Le sais-tu ? ». Il s’agit de courts textes qui visent à enrichir la culture générale du jeune joueur, qui ont toujours un rapport étroit avec l’énigme liée et dont la lecture est parfois indispensable pour passer à l’étape suivante...

Des conseils de lectures ou de jeux, à visée pédagogique ou juste pour le plaisir ?

En règle générale, s’il n’y a pas d’énigmes et/ou de storytelling dans un jeu, ou au moins une dimension coopérative, je n’accroche pas trop. Je suis donc très fan de la série des T.I.M.E Stories : si vous aimez les jeux narratifs d’exploration, foncez ! Et j’ai bien aimé Détective et Chronicles of Crime récemment : si vous êtes fan de jeux d’enquête, n’hésitez pas [4] ! Je joue à toutes les adaptations d’escape game en jeux de société et mon préféré reste l’incontournable Unlock !, sur lequel je me jette à chaque nouvelle sortie et que je conseille à tous les amoureux d’énigmes.

Merci Mélanie :-)

[1Le bureau de James Murdock, HintHunt, Paris.

[2Le chemin de fer est, dans l’édition, la représentation d’un ouvrage, page par page et dans sa totalité. Ce terme s’utilise également dans la presse écrite pour désigner une telle représentation d’un journal ou d’un magazine sur les murs ou le sol de la salle de maquette afin que toute l’équipe de rédaction puisse se représenter la dynamique visuelle du magazine. Wikipedia.

[3Voir notre article L’ÉPhiScience du jeu.

[4Stéphane Anquetil a créé récemment une extension, Noir, de ce déjà célèbre jeu d’enquête. Il nous détaille son parcours et ses méthodes de travail dans L’échappée d’Anquetil.