Escape game ou pas ?

Article écrit par : Mélanie Fenaert
Première mise en ligne le 10 décembre 2017

« J’ai conçu un Escape Game pour ma classe…
mais en est-ce vraiment un ? »

Depuis deux ans, les escape games dans le domaine éducatif ont la côte. Surfant sur un phénomène de société, les enseignants n’ont pas tardé à percevoir le potentiel pédagogique de ce dispositif. Plusieurs sites dédiés ont vu le jour et, sur les réseaux sociaux, de nombreux enseignants partagent leurs activités étiquetées escape games. Mais sont-elles toujours nommées à bon escient ?

Escape game, serious game, ludification, ludicisation… ?

Un escape game, ou jeu d’évasion en français, consiste classiquement en l’enfermement d’un petit groupe de personnes dans une pièce, dans laquelle sont cachés indices et énigmes qu’il faudra résoudre pour pouvoir sortir, ceci dans un temps limité. La transposition dans un contexte pédagogique, à des fins d’apprentissage donc, est qualifiée de serious escape game, expression popularisée lors de la journée d’études qui a eu lieu le 7 décembre 2017 à la Serre Numérique à Valenciennes (Nord).

Cette utilisation du jeu d’évasion en classe est une composante d’un courant plus vaste en éducation, qui existe depuis longtemps mais revient en force depuis une dizaine d’années : la ludification, ou ludicisation, ou gamification. Les nuances entre ces termes font débat parmi les spécialistes [1] ; nous utiliserons ici le terme francophone et couramment accepté de ludification, pris dans son sens le plus large.

La ludification consiste à associer du jeu ou des mécanismes de jeu à des contextes ou objets qui en sont dépourvus à l’origine, ici le contexte de la classe. Les plus-values pédagogiques de la ludification, et des serious games en général, sont de l’ordre de la motivation des élèves, l’apprentissage par essai et erreur, les possibilités de différenciation, la stimulation des interactions pédagogiques entre élèves, et les représentations concrètes offertes aux élèves [2]. C’est une expérience que l’on peut qualifier d’immersive, dans laquelle le plaisir de jouer est un puissant moteur des apprentissages.

Escape game pédagogique, escape game éducatif, serious escape game… quel que soit le terme employé, il s’agit bien d’un dispositif de ludification d’une séquence, répondant aux différents points évoqués précédemment. Mais pour autant toute séquence ludifiée ne peut être qualifiée d’escape game.

Les codes d’un escape game

La scénarisation d’un escape game, essentielle à toute séquence ludifiée, au même titre que toute séquence pédagogique, est généralement teintée d’urgence, avec un défi, une quête à réaliser en un temps limité et chronométré.

Cette scénarisation implique des énigmes, qui peuvent prendre des formes très variées : devinette, recherche d’un code, déverrouiller un cadenas, réaliser une expérience… qui nécessitent que les élèves ré-exploitent des compétences et connaissances, voire en découvrent de nouvelles. L’escape game a plus de chances d’être un succès si chaque énigme ou activité associée est inédite et éloignée d’un exercice classique… ou du moins que peu d’énigmes soient des exercices classiques [3].

La non linéarité des énigmes est importante, ainsi que leur éventuelle imbrication. En effet, ceci est essentiel pour faire émerger l’intelligence collective [4].

Sur les réseaux, on a pu voir présentées comme des escape games des séquences constituées d’un enchaînement de petites activités plus ou moins classiques, ou d’étapes d’un raisonnement, avec parfois validation des différentes étapes par le professeur. Le support peut être numérique, avec un code qui bloque l’accès aux ressources pour pouvoir progresser dans le jeu. Ce genre de séquence permet un suivi serré par le professeur des activités des élèves, mais ne relève pas du réel escape game. En fonction du scénario, on pourra plutôt parler d’enquête, de recherche scientifique, d’histoire dont vous êtes le héros, de défi, de jeu de piste, de chasse aux trésors…

L’absence ou quasi absence de consignes, hormis la mise en situation initiale, est un autre aspect important d’un escape game. En effet, une énigme se doit d’être... énigmatique [5]. Bien sûr, si celle-ci implique par exemple une expérience de chimie à réaliser, un protocole et des consignes de sécurité seront bienvenues ; mais si chaque énigme nécessite des explications pour la comprendre et en venir à bout, cela bride l’imagination, limite la réflexion des élèves, et le jeu perd de son intérêt.

Consignes minimales, non linéarité et diversité des énigmes (contenu et forme) sont également très importantes pour favoriser le travail de groupe. Pour parvenir à l’objet de la quête, toutes les énigmes doivent être résolues et comprises, et pour réussir cela rapidement, il va falloir se partager le travail en fonction des affinités de chacun. Coopération de petits groupes d’élèves se répartissant les énigmes, collaboration au sein du petit groupe autour d’une énigme avec discussion, émission d’hypothèses, essais/erreurs… Cette dimension ne se retrouve généralement pas dans les activités ludifiées guidées, ou de manière bien moins intense.

Le rôle de l’enseignant durant l’escape game

L’enseignant est le maître du jeu, celui qui surveille l’avancement du groupe, rappelle le temps qui s’écoule, différencie en donnant un coup de pouce quand une énigme est trop bloquante. Difficile pour lui d’appréhender avec précision les apports de chacun en termes de compétences, raisonnement, connaissances, tant le collaboratif et le coopératif jouent. C’est peut-être cette dimension qui pousse certains enseignants à construire des séquences à la façon d’un escape game, sans aller jusqu’au bout des codes de celui-ci. De plus, l’incertitude inhérente au jeu (quant à la difficulté des énigmes, au temps…) implique un lâcher-prise de la part de l’enseignant, une acceptation de ne pas tout voir ni maîtriser, une confiance forte en ses élèves et en sa propre capacité à remédier aux aléas [6].

Enfin, profitons de cet article pour rappeler que le professeur ne doit pas oublier l’objectif initial de son activité, quel que soit son degré de ludification : les apprentissages des élèves. Comme pour toute activité ludique ou serious game, la phase de distanciation critique (ou débriefing) à la fin de l’escape game ne doit absolument pas être négligée. Elle permet aux élèves d’identifier les connaissances et compétences qui ont été nécessaires pour réussir, leur permet d’exercer leur esprit critique… et fournira peut-être à l’enseignant des pistes d’amélioration de son jeu. Cette phase gagnera aussi à être accompagnée de traces écrites s’il n’y en avait pas durant l’activité, ceci surtout si l’escape game a permis de découvrir de nouvelles notions.

En conclusion…

Ainsi, l’escape game pédagogique constitue un dispositif particulier au sein des nombreuses pratiques associées à la ludification et aux jeux sérieux. Si les plus-values recherchées sont les mêmes (motivation, engagement, action, plaisir de jouer au service des apprentissages…), ses éléments constitutifs répondent à des codes précis. Une séquence qui présente un scénario de type défi/échappement mais uniquement des activités classiques et guidées ne peut être pleinement considérée comme un vrai serious escape game. De même une séquence pédagogique présentant à un moment donné un point de blocage pour les élèves, qu’ils devront passer en résolvant une énigme ou en trouvant un code. De la même manière, on peut aussi y associer les activités complètement numériques constituées d’une succession d’exercices avec nécessité de réussir chaque exercice pour passer au suivant, comme on peut en construire sur des plateformes de e-education type Moodle ; ceci peut exister d’ailleurs sans numérique.

Chacune de ces séquences peut être qualifiée de ludifiée, et empruntant un élément de ce qui constitue un escape game pédagogique… peut-être pourrait-on synthétiser cette expression en activité escapegamifiée ? On me souffle dans l’oreillette que le terme n’est pas très joli… Patrice Nadam propose les néologismes ludéfication et activités ludéfiées, associant ainsi la ludification à la notion de défi.

Où placer la limite entre activité ludéfiée et réel escape game pédagogique ? Difficile à dire ! À chaque professeur de se poser la question lors de la conception…

[1Pour Alvarez, Djaouti et Rampnoux dans Apprendre avec les serious games ?, gamification et ludification sont synonymes et consistent à « associer du jeu ou des mécaniques du jeu à des contextes ou objets qui en sont dépourvus à l’origine » ; ces termes s’opposent au serious game ou jeu sérieux (associer une visée utilitaire à un jeu). D’après Sanchez, Young, et Jouneau-Sion dans Classcraft : de la gamification à la ludicisation : « Gamification est parfois traduit en français par ludification alors même que ce terme est également employé en anglais pour désigner la diffusion du jeu dans la culture… (...) Ainsi, en s’appuyant sur Henriot, Genvo propose le terme ludicisation pour insister non pas sur le jeu-game, l’artefact qui est utilisé pour jouer, mais les interactions qui se mettent en place lorsqu’il accepte de jouer. (...) Ce terme nous semble en effet plus approprié quand il s’agit de concevoir une situation d’apprentissage qui combine des visées éducatives et des caractéristiques ludiques. »

[2Alvarez, Djaouti et Rampnoux dans Apprendre avec les serious games ?, Réseau Canopé.

[3Voir à ce sujet notre article Créer SON énigme.

[4Un sujet développé par P. Nadam dans Favoriser l’intelligence collective.

[6Pour approfondir le sujet, lire notre article ÉduGameMaster, quand le prof se prend au jeu.