Indispensable débriefing

Article écrit par : Patrice Nadam * Mélanie Fenaert * Anne Petit
Première mise en ligne le 23 octobre 2018

Victoire ! Le défi a été relevé, le chronomètre a été vaincu, la partie est terminée ! Vraiment ? En réalité, pour l’enseignant game master et pour les joueurs, c’est le début de la phase la plus importante, celle qui justifie pédagogiquement la mise en place d’un escape game en classe : le débriefing.

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Une fois la phase de jeu terminée, qu’elle se conclue de manière positive ou non pour les joueurs, place à la troisième mi-temps.
Le débriefing, réunion-bilan, séance d’évaluation ou plus rarement débreffage désigne une évaluation post-événementielle, dans le cadre d’une équipe ayant pris part à l’événement. [1]

Si chacun s’accorde sur son importance, le débriefing est souvent le grand oublié lors des retours des enseignants et formateurs ayant mis en place un serious escape game. Il est vrai que voir des enfants, adolescents ou adultes se donner et jouer pleinement à un jeu que l’on a mis du temps à organiser et parfois créer est une expérience émotionnelle forte, qui imprime durablement et positivement l’esprit du game master. La phase après jeu, même si elle a été prévue et s’est bien déroulée, fait généralement l’objet d’un moindre développement : on revient vers des pratiques plus classiques. L’enseignant ou le formateur troque sa casquette de game master et fait la lumière sur le jeu.

Nathalie Lepouder, professeure de SVT, co-créatrice d’ADN’igme : « Le souci de l’escape game, c’est qu’il n’est pas possible de tout voir, d’où l’importance du débriefing pour que l’expérience de quelques-uns devienne celle du groupe. »

Réserver un temps collectif de retour sur l’expérience vécue est nécessaire, et c’est un moment qui ne s’improvise pas. Cette phase de décodage permet d’exploiter pleinement les potentialités de la gamification dans les apprentissages. C’est une occasion de tirer les enseignements de la collaboration, de la stratégie de groupe, de la communication et surtout, de donner du sens.

La préparation

Une session de débriefing se prépare (dans la forme et le fond), s’organise et se présente. Il est important de créer un environnement propice aux échanges. Le débrief doit se dérouler dans la bonne humeur.
Du point de vue organisation, une disposition circulaire favorise les interactions et évoque un rassemblement. Vous pouvez aussi anticiper et prévoir un espace de classe dédié au débriefing.

La question du temps est cruciale, or en contexte scolaire celui-ci est compté ! Le temps prévu pour l’escape game doit prendre en compte cette nécessité, et il vous faut absolument prévoir au minimum vingt à trente minutes pour la phase après jeu. Un support de type diaporama ou Genially peut vous seconder, vous guider et vous rassurer dans votre tâche.

La conduite d’un débriefing nécessite la prise en compte de certains points de vigilance. Sa qualité tient à la collecte des informations et à l’expression d’un ressenti dans un climat de confiance entre les participants et l’animateur. Pour faciliter l’affirmation des pensées et leur verbalisation par les participants, celui-ci repose sur l’écoute active et les questionnements de l’animateur. Il faudra aussi veiller à capter l’attention des joueurs qui peuvent témoigner d’un épuisement après jeu et ne pas proposer un temps d’analyse trop long.

Les différentes étapes du débriefing

La conduite de débriefing requiert, de la part de celui qui l’anime une expertise dans le domaine à débriefer, des compétences humaines afin de préserver la sécurité affective des participants [2], ainsi que des compétences en communication pour favoriser la réflexion du groupe.

Émilie Kochert, professeure d’histoire-géographie : « Débriefer, c’est le moment où le plaisir du jeu doit devenir plaisir d’appréhender ce qu’on a appris. »

Trois étapes peuvent rythmer le débriefing : le recueil des émotions, la phase des enseignements et la phase de conclusion.

Le recueil des émotions

La première étape du débriefing, sans doute la plus importante, concerne les ressentis des joueurs. Un escape game les engage dans une expérience forte. Ils doivent pouvoir se libérer de cette surcharge émotionnelle et être disponible pour la suite du débriefing. Cette phase doit avoir lieu le plus tôt possible, juste après jeu.
Il est donc indispensable de laisser s’exprimer librement les participants, et de recueillir ensuite leurs émotions à chaud. Cette phase initie les premières interactions pour les étapes suivantes. Ce temps n’est pas propice à la phase théorique mais à l’écoute active de l’animateur, afin de récolter un maximum de matière et rebondir ensuite lors du passage aux enseignements théoriques.

La phase des enseignements

Il est désormais temps de rejouer le match, de manière plus cadrée. Ici, les joueurs ont toujours la parole, mais on oriente la discussion en leur permettant de revenir sur les différentes séquences du jeu, et ce de façon chronologique.

Mélanie Fenaert, professeure de SVT : « J’ai testé ADN’igme avec quatre groupes de Seconde. Juste après le jeu, ils m’ont aidée à rassembler le matériel. Ce moment leur a clairement permis de relâcher les tensions, entre rires et discussions sur ce qu’ils venaient de vivre. Contrairement à ce que je faisais avec mes premiers groupes, j’en suis venue à leur interdire de nettoyer les documents et tables sur lesquels ils avaient le droit d’écrire au feutre… Ce sont des supports pour le débriefing ! Nous avons ensuite pris une dizaine de minutes pour détailler chaque énigme, le ou les élèves l’ayant résolue prenant la parole pour expliquer leur démarche aux autres. Quand toutes les énigmes ont été passées en revue, chacun a regagné sa place et le diaporama proposé ensuite a donné une vue synthétique de l’ensemble du jeu ».

Tous n’ont pas vécu les mêmes choses aux mêmes moments. Tous n’ont pas résolu l’ensemble des énigmes. Cela peut être frustrant et déclencher un sentiment d’avoir raté quelque chose, une étape. La phase du débriefing permet de pallier cette impression, en décortiquant le jeu. Il s’agit de faire en sorte que tout le monde puisse s’exprimer en veillant au temps de parole de chacun et des groupuscules constitués naturellement durant la résolution des énigmes. L’objectif est de valoriser chacun des participants. Pour ce faire, des questions simples et ouvertes peuvent être posées :

« Comment avez-vous débuté le jeu ? Comment vous êtes-vous organisés pour résoudre les différentes énigmes ? Quelles difficultés ont émergé ? À quels moments ? Les informations ont-elles été partagées clairement ? Si non, comment améliorer la communication entre les joueurs ? »

Nathalie Lepouder : « Un débriefing du jeu est nécessaire pour expliquer les énigmes mais aussi pour revenir sur les notions à comprendre et connaître. Chaque groupe ayant trouvé une énigme peut expliquer à la classe ». [3]

Cette étape permet également d’établir une passerelle entre le jeu, les contenus disciplinaires et les compétences sollicitées. Pour l’enseignant et le formateur, il s’agit de vérifier ce que les participants ont compris, découvert ou appris, et que les objectifs pédagogiques et attentes de l’activité soient atteints.

« Comment avez-vous appliqué les contenus vus en classe ? Quelles notions avez-vous découvertes lors de l’escape game ? »

La phase de conclusion

C’est la phase d’ancrage où l’on propose aux participants un résumé des étapes précédentes de manière à ce qu’ils synthétisent les points-clés. Il est important d’avoir une idée précise des messages à faire passer en fin de débrief. Les éléments théoriques donnent du sens et permettent l’émergence des compétences acquises ou sollicitées durant l’activité, pour favoriser leur transfert à d’autres situations d’apprentissages.

Mélanie Fenaert : « Suite à l’escape game ADN’igme, les élèves de Seconde ont effectué un premier travail de restitution, de façon individuelle.
Certains élèves se sont sentis peu à l’aise, éprouvant des difficultés à revenir à un état de concentration habituel, le document support contenant beaucoup d’informations et de consignes. Après quelques tâtonnements, l’autorisation de communiquer avec leur voisin leur a été accordée, dans l’objectif d’un retour à une tâche participative.
En fin de séance, un élève s’est exprimé sur le jeu et le travail de restitution effectué : « C’était génial, mais à la fin ça aurait été mieux de le faire ensemble ».
Aux sessions suivantes, j’ai donc modifié les attendus de cette tâche en laissant le choix aux élèves de restituer les notions découvertes sous une forme libre, avec la possibilité de travailler collaborativement. La séance de compte-rendu s’est révélée plus rapide et plus efficace. Une synthèse a été réalisée au tableau, sous forme de carte mentale et de façon collective ».

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Si le débriefing se fait généralement sous forme orale, il nous semble intéressant pour renforcer l’efficacité des apprentissages de l’accompagner d’une production. Celle-ci peut se faire selon différentes modalités : à l’écrit, sous forme d’affiche, d’infographie, de carte mentale, d’un témoignage écrit, d’un questionnaire. À l’oral, via une capsule audio, une interview par exemple [4].

Le modèle collaboratif est à privilégier. Il offre aux participants une vision cohérente et globale du jeu [5].

Nathalie Lepouder : « Une fois le jeu terminé (...) ils reprennent vite leur place pour un débriefing assisté d’une présentation qui leur permet de comprendre comment chaque énigme a été résolue, mais également comment chacune leur permettait de comprendre la découverte de la structure de l’ADN. Ils ont reçu par ailleurs un iBooks (ils sont équipés en iPads) sur la structure de l’ADN avec un objectif de réinvestissement de leurs connaissances puisqu’ils devaient réaliser un panneau récapitulatif pour la séance suivante ».

Témoignages des élèves de Lucille Legoubé, professeure de SVT, lors de l’escape game. Décaz’Treasure : « Ça nous fait travailler de manière dynamique, ça donne envie de travailler. C’est mieux qu’un cours où on est assis, où on regarde le cours et on essaye de comprendre… Là on a vraiment envie de participer au cours, d’apprendre ».

Toujours pour faciliter la fixation des apprentissages et permettre aux élèves de consolider les connaissances (surtout lorsque de nouvelles notions sont abordées) et transférer leurs compétences à d’autres contextes pédagogiques, il est possible de proposer un travail en prolongation de l’escape game. Cette activité se fera après la séance de jeu, à la suite si l’on dispose d’encore une heure avec les élèves, à la maison, ou lors d‘une prochaine séance. Il est parfois préférable de laisser reposer les choses pour mieux les réinvestir ensuite (récupération et consolidation des acquis). Vous vérifierez ainsi le degré d’assimilation de vos élèves. Sans rétroaction sur leur travail, les élèves ne sauraient identifier ce qu’ils maîtrisent ni comment s’y prendre pour progresser. [6]

Dans le jeu, le débriefing (car il fait partie intégrante du jeu) permet une distanciation critique par rapport à celui-ci et facilite la remise en question.
C’est un temps pour prendre du recul, comprendre, s’auto-évaluer et partager une expérience ludique. L’intérêt est de faire émerger ce que les participants ont vécu et appris par le jeu, afin de concrétiser, d’institutionnaliser les connaissances et compétences travaillées ou mises en œuvre.
Il constitue un espace d’expression pour tout à chacun dans la bonne humeur, un continuum avec l’ambiance du jeu vécue précédemment et doit être mené dans la positive attitude. Un moment institutionnel certes, mais avec une pointe de fantaisie et d’humour aussi pour finir sur une bonne note et marquer les esprits.

Merci à Mélanie Fenaert, Nathalie Lepouder, Émilie Kochert et aux élèves de Lucille Legoubé pour leurs témoignages.

[2Zoya Horcik, 2014 ; How to train professionals through simulation-based training. A comparison between pedagogical principles from research and field practices.

[4Dans son escape game Diagnosticos Pathos Demerdos ! Coralie Ulysse propose une restitution sous forme de podcasts.

[5Des exemples concrets de supports de débriefing dans notre article Garder trace.

[6Les feedbacks à l’école : un gage de régulation des comportements scolaires.

Merci à Mélanie Fenaert, Nathalie Lepouder et aux élèves de Lucille Legoubé pour leurs témoignages.