Un escape game avec Gather Town
Première mise en ligne le 28 août 2021
Ces derniers mois, pour cause de contexte sanitaire, les visioconférences se sont multipliées… Elles répondent aux besoins de contact, d’échanger en synchrone, de créer ou de conserver du lien social, de rendre les participants actifs, notamment sur les dispositifs de formation ou d’enseignement à distance.
Pour autant, l’utilisation de ces outils de visioconférence, malgré des fonctionnalités toujours plus nombreuses et une bonne dose d’imagination quant à leur scénarisation, devient à la longue assez répétitive, et certains d’entre nous ont cherché à diversifier les usages durant ces temps d’interaction synchrones à distance.
C’est alors qu’est apparu sur les réseaux qui font de la veille concernant les outils numériques, Gather.town.
Un environnement immersif en 2D
Gather.town est au départ un prolongement du logiciel Online Town, créé par Kumail Jaffer et Philip Wang, souvent considéré comme un mélange de classe virtuelle type Zoom ou Teams et d’un RGP (Role Playing Game), en deux dimensions. Le principe de base est que chaque personne connectée à une salle Gather est représentée par un avatar dans un environnement virtuel, pixelisé. On déplace alors son avatar dans l’interface à l’aide des flèches du clavier ou par un clic de souris. Ceux qui ont aimé Mario sur leur gameboy dans les années 90 ne sont pas perdus ! Nous conseillons d’ailleurs de réserver son usage aux adultes, la protection des données des élèves n’étant pas garantie par leur politique de confidentialité actuelle.
Certains environnements sont directement disponibles, y compris dans la version gratuite de l’outil. Vous pouvez aussi imaginer créer votre propre décor à partir de zéro ou « customiser » un univers existant… Une plage, un rooftop, un coin de cheminée ou une maison hantée, tout est possible ! Il est possible d’interconnecter des salles, et donc des scènes très différentes.
Dans Gather.town, on peut diffuser sa voix, son image par webcam, son écran, du son ou des documents, par partage de liens. Il existe également certaines fonctionnalités proposées par Gather.town, notamment des petits jeux [1] qui permettent aux différents participants d’interagir.
Un outil de socialisation, de collaboration et de ludification
Point important et original, l’interface Gather.town est géospatialisée : lorsque deux avatars sont proches, ils peuvent communiquer (voix et image), et dès qu’ils s’éloignent, ils ne le peuvent plus. L’idée est de reproduire les conditions du présentiel : on n’entend bien qu’une personne dont on est proche spatialement parlant. Il est aussi possible de créer des zones « privées » : seuls les avatars présents dans une de ces zones peuvent communiquer. Exit les visioconférences où tout le monde parle en même temps, où il faut distribuer la parole… Les participants peuvent rassembler leurs avatars dans un espace privé s’ils souhaitent communiquer en petit comité, sans gêner les conversations des autres participants. Il s’agit ici de simuler les déplacements spatiaux tels qu’ils pourraient exister en présentiel.
Un outil de communication synchrone est également disponible. Comme tout outil de ce genre, il est possible de discuter par écrit avec l’ensemble des participants, sous forme de messages instantanés, mais il est aussi possible de ne parler qu’à une seule personne ou aux seules personnes “présentes” dans l’espace géographique proche de l’interface.
Un chat est accessible et utilisable de manière interpersonnelle, aux participants qui sont spatialement proches ou alors à l’ensemble des participants.
Un certain nombre d’enseignants et de formateurs se sont évidemment emparés de l’outil à des fins pédagogiques, afin de ludifier et de diversifier leurs pratiques par rapport aux « simples » classes virtuelles. On peut aisément imaginer des usages dans ce cadre :
- Activités de type brise glace ou chasse au trésor : les participants apprennent à se connaître sous la forme de jeux ou de découverte de ressources, en groupe, en se déplaçant dans l’environnement
- Salles de travail : les apprenants disposent d’une salle ouverte en permanence, avec différentes zones de travail. Ils peuvent se réunir dans l’une d’entre elles pour travailler en groupe ou se déplacer dans une zone adjacente pour discuter avec un autre groupe
- Séminaire avec ateliers de travail tournants : des zones privées sont créées pour simuler des espaces dans lesquels se déroulent des ateliers tournants. Les participants se déplacent dans les différentes zones selon un emploi du temps défini au préalable. Les formateurs ou enseignants ont alors déposé des ressources ou partagent un écran ou un tableau blanc dans la zone privée en question.
J’y ai vu aussi se dérouler des pots de départs ou des remises de diplômes…
Intérêts et limites pour les escape games
M’est venue – évidemment ! – l’idée de mettre en place un escape game dans ce type de salle.
Dans le cadre des formations d’adultes que je mène, j’avais déjà envisagé cette éventualité avec l’outil Frame VR, basé sur le même genre de principe mais dans un environnement à trois dimensions. Ayant rencontré des soucis de bande passante et de prise en main de la 3D par des publics qui n’étaient pas très habiles numériquement parlant, je n’avais pas poursuivi l’expérimentation.
Restait quand même l’idée que ce genre d’environnement, en 3D ou en 2D, permet de simuler bien mieux qu’en simple classe virtuelle les interactions et les déplacements inhérents aux escape games physiques, en présence : les participants « bougent » et voient les autres se déplacer, ils peuvent communiquer en petit comité…
Par ailleurs, jusqu’alors, j’avais identifié différents modes de mise en œuvre des escape games en ligne que j’avais accompagnés en tant que game master, via des outils autres :
- soit les participants jouent chacun de leur côté sur l’interface de jeu en ligne, ce qui ne permet donc pas de collaboration au sein d’une équipe (ce qui est dommage s’agissant quand même de l’un des principaux atouts d’un escape game),
- soit au sein d’un groupe la communication et la collaboration ne passe que par la voix (ou le chat) des joueurs, qui ne voient pas ce que les autres sont en train de faire,
- ou encore un des joueurs partage son écran et gère l’interface de jeu, les joueurs communiquent par la voix (ou le chat) et se mettent d’accord sur ce que doit faire le joueur « maître ».
Il existe bien sûr des situations intermédiaires, comme le partage d’un écran par un joueur tandis que certains autres joueurs visitent l’interface de leur côté et communiquent oralement leurs découvertes. Dans tous les cas, la collaboration n’est pas forcément évidente entre les joueurs et le rôle de maître de jeu n’est pas facile à endosser. Je n’étais donc pas pleinement satisfaite du déroulé des jeux dans ces conditions et c’est à ce stade de réflexion qu’est arrivée la proposition de Jean-François Parmentier qui s’était lancé dans la conception de ce type de jeu dans Gather.town et qui proposait une collaboration et un test à l’équipe de S’CAPE.
Suite à ce premier test relaté dans l’article Horreur, je me suis interrogée sur le rôle du game master dans cette interface et sur la manière d’accompagner au mieux les joueurs. J’ai alors trouvé d’autres cobayes volontaires pour rejouer le jeu, moins à l’aise avec les escape games et pas toujours habiles concernant les outils numériques, et ai pris le rôle de maître du jeu. Trois points étaient, selon moi, à creuser avec un public plus novice que le groupe de départ :
- provoquer davantage de rassemblements entre joueurs pour favoriser les échanges et la communication. L’utilisation d’un interphone permettant à tous les participants de la même salle d’entendre un message sonore diffusé par le maître du jeu pourrait être intéressant… Cependant, cet outil ne permet pas de communiquer dans toutes les salles interconnectées en simultané.
- l’utilisation du chat : il me paraissait important de « forcer » l’utilisation du chat en vue d’améliorer la circulation des informations au sein du groupe, et pour le game master, de disposer de l’ensemble des informations pour les guider au plus près sans avoir à refaire des « points infos » réguliers avec l’équipe. Il paraissait également important d’indiquer aux joueurs de conserver le volet chat ouvert en permanence pour suivre l’avancée de chacun, d’autant plus qu’à l’époque, Gather.town ne sonorisait pas l’arrivée de nouveaux messages dans le chat, fonctionnalité qui est apparue par la suite et qui est bien aidante dans ce cadre précis.
- l’utilisation d’un outil de centralisation des indices découverts, par l’intermédiaire d’un document partagé en ligne, de la même manière que souvent, les joueurs d’escape games en présentiel décident de regrouper l’ensemble de leurs trouvailles à un endroit centralisé pour tous… Comment reproduire ce phénomène et en quoi le maître de jeu peut-il faciliter cela ? Et comment faire en sorte qu’il ne soit pas trop compliqué pour les joueurs de naviguer sur plusieurs fenêtres ?
Dans la première expérience, il s’est trouvé que, presque par hasard, certains d’entre nous ont eu le réflexe de garder trace de leurs découvertes par le biais de captures d’écran. En partageant son écran, il est alors possible de montrer aux autres ce qu’on a trouvé aux autres, lors des regroupements réguliers. Pour autant, l’utilisation d’un document partagé en ligne aurait grandement facilité la tâche. C’est donc ce que j’ai proposé lors des tests du jeu ultérieurement [2].
Pour les groupes à l’aise numériquement, un document collaboratif en ligne (Slide de la suite Google, ou outil de mur collaboratif en ligne, type Miro ou Mural) est ouvert par le game master avec des droits ouverts en écriture. Le lien peut être disposé ou caché dans l’environnement Gather.town, sur une table par exemple. En pratique, les joueurs conservent la fenêtre de ce document ouverte en parallèle de celle proposant l’environnement de jeu. Chacun fait des captures d’écran et peut les déposer sur le document collaboratif, ce qui simplifie beaucoup les discussions lors des regroupements de participants pour faire le point. Le maître de jeu peut pousser les joueurs à indiquer les éléments qui ont été déjà utilisés, par leur déplacement dans le document ou un référencement quelconque à l’aide de symboles par exemple.
Pour les groupes moins à l’aise numériquement, ou encore les joueurs les plus jeunes, cette solution ne me paraissait pas adaptée. C’est donc le maître du jeu qui facilite la centralisation des indices collectés. La consigne était : « dès que vous trouvez quelque chose, vous le décrivez dans le chat et je m’occupe de coller la capture d’écran dans le document collaboratif ouvert pour vous et accessible par un lien. »
Pour terminer ce retour d’expérience, il paraît difficile de gérer plusieurs groupes en même temps. Dupliquer les ensembles de salles sur Gather.town n’est pas chose aisée tout en conservant leurs interconnexions, et cela signifierait pour le game master gérer deux interfaces de jeu en même temps.
Faire jouer deux équipes dans la même interface pourrait être intéressant, en faisant en sorte que la distinction des équipes pour le maître du jeu puisse se faire par le choix des avatars et que des zones privées soient créées pour permettre à chaque équipe d’échanger sans être entendue par l’autre groupe. Cependant, la problématique du chat demeure, celui-ci ne permettant pas une utilisation par équipe (voilà une évolution à proposer à l’équipe de Gather.town !?). Attention à la limite forte liée à la version gratuite de Gather.town : actuellement seulement 25 connexions simultanées sont permises. Reste aussi la question de la gestion des documents de centralisation, qui, s’ils sont multiples, deviennent plus compliqués à gérer.
Reste que l’expérience est très positive, aux dires des participants : « Moi qui n’étais pas convaincu au départ, j’ai vraiment eu l’impression d’interagir et de jouer avec les autres participants et de partager un vrai moment de jeu avec eux ! ». Objectifs atteints donc !