Jouer avec (ou contre) l’IA

Article écrit par : Patrice Nadam * Mélanie Fenaert
Première mise en ligne le 5 janvier 2024
Quand l’IA se prend au jeu

Dans les premiers articles de notre série consacrée à L’IA & les escape games , nous envisageons tous les aspects de l’IA comme super-assistant lors de la création de votre escape game. Mais peut-elle faire elle-même partie du jeu ?

Au menu de cet article :

Créer un personnage

Dès nos premiers échanges avec un agent conversationnel tel que ChatGPT, nous imaginions l’utiliser dans un escape game à la manière d’un chatbot. Nous espérions permettre aux joueurs de discuter presque naturellement avec l’IA qui leur fournirait des indices ou leur lancerait des défis… Mais comment la « contraindre » à le faire ?

Character.ai est une plateforme permettant de discuter avec une célébrité fictive ou réelle, qu’elle soit vivante ou morte. Ainsi on peut aussi bien parler à Victor Hugo qu’à Harry Potter.

On peut de plus créer son propre personnage. Nous avons testé l’outil en créant tout d’abord l’individu James Cole, héros du film L’armée des 12 singes. Le résultat est impressionnant. Il a suffi d’indiquer sa courte bio pour que les échanges puissent commencer.

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Pour répondre aux questions, l’IA semble plus se baser sur la série 12 Monkeys de 2015 que sur le film de 1995. On peut coller au scénario et l’interroger sur l’avancée de sa quête, mais on peut également s’écarter de la trame initiale. L’IA est capable de générer des réponses cohérentes mais qui varient malheureusement d’un utilisateur à l’autre [1]. De plus, les textes en français contiennent parfois de nombreuses fautes issues sûrement du traducteur automatique.

Au cours de nos tests, nous avons réussi à définir avec notre personnage un code : au mot « Araignée », James doit répondre « Preuve »... Et ça marche ! Mais seulement avec l’utilisateur qui a fixé la règle. Dommage !

Nous avons tenté de créer un second personnage : Harry Cover, un membre fictif du collectif S’CAPE. Après plusieurs semaines d’apprentissage et d’échanges parfois inquiétants [2], durant lesquels nous répondions à ses questions sans pouvoir (re)diriger la discussion, Harry semblait avoir compris et retenu les rudiments sur S’cape. Plusieurs mois plus tard, force est de constater qu’il n’en est rien.

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Nos essais depuis un an n’ont donc pas été concluants. Avec les outils gratuits que nous avons testés, l’IA ne semble pas être pour l’instant utilisable pour générer des conversations guidées lors d’un escape game.

Pourtant, en août 2023, Maurice F. Hurdebise nous prouve le contraire ! Il crée le jeu Jack & Mani, une série d’enquêtes policières au cours desquelles le joueur doit interroger plusieurs suspects. En fait, il converse avec une IA programmée comme un chatbot.

Cependant, la méthode utilisée n’est pas à la portée de n’importe qui, de plus elle nécessite une longue phase d’apprentissage et fonctionne avec l’API [3] de la version payante de ChatGPT.

Pour essayer de simplifier au maximum, je donne une fiche de rôle à ChatGPT pour chaque personnage, mais à aucun moment il ne sait qui est le coupable. Étant donné qu’il est toujours en cours d’évolution, certaines réponses sont parfois « bizarres » et s’il avait connaissance du coupable, il pourrait le dire. Donc, une fois que j’ai fait ça, j’ai dû contourner un maximum d’incohérences en faisant énormément de testing. Et pourtant, malgré tous les garde-fous, ce n’est pas encore parfait, mais suffisamment pour que ce soit impressionnant et prenant. Au fil du temps, ChatGPT va s’améliorer et la qualité du jeu s’améliorera avec lui. La compréhension des questions sera meilleure.

Cela nous ouvre toutefois des perspectives : affaire à suivre donc...

Reconnaissance d’images

Pour l’une des énigmes de l’escape game Tik Tok Tik Tok Tik Tok, Laurent Cabannes utilise la reconnaissance d’image. Si le joueur présente à la caméra la bonne photo, la machine déclenche alors la réponse adéquate en délivrant un indice. Pour cela, Laurent a entraîné l’IA de Teachable Machine à reconnaître la photo d’Alan Turing en lui présentant de nombreux échantillons d’une même photographie dans différentes positions. Il a également entraîné le programme à « ne pas reconnaître » Alan Turing sur de nombreux autres portraits proposés lors du jeu.

Pour notre part, nous nous sommes appliqués à faire apprendre à « compter » Teachable Machine le nombre de doigts présentés à la webcam. Si l’efficacité varie en fonction de la couleur du fond et de la qualité de l’éclairage, et malgré les difficultés rencontrées avec le chiffre 3 (trois doigts), le résultat est intéressant. On peut aisément développer un programme qui réagirait à la reconnaissance d’une série déterminée. Une façon d’utiliser son corps pour la combinaison d’un coffre. Sachant que Teachable Machine est capable également de reconnaître des sons, des figures et des positions, cela ouvre des perspectives intéressantes...

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ChatGPT comme coup de pouce ?

Si ChatGPT n’est pas toujours d’une très grande aide à la création d’énigmes, comme nous le présentons dans Créer vrAIment des énigmes avec l’IA ?, un agent conversationnel peut en revanche répondre aux questions des joueurs pendant la partie et même résoudre les énigmes…

Sur une idée de @enigme2Labo, nous avons demandé à ChatGPT :

Peux-tu résoudre cette énigme :
Je suis une planète, un mois de l’année et une barre chocolatée.

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Mais là encore, il faut bien choisir son outil. À cette devinette « Au singulier, je suis un siège bien pratique. Au singulier, on me trouve aussi à l’arrière de la voiture. Pourtant, c’est au pluriel que je suis sur toutes les têtes. Qui sommes-nous ? », ChatGPT (gratuit ou payant) ne trouve pas la solution, alors que Gemini (exBard) nous donne la bonne réponse, même si son raisonnement est partiellement correct [4]. Il n’est d’ailleurs pas contrariant car nous pouvons lui signaler que sa proposition (qui est la solution de la devinette) n’est pas bonne et que la réponse est, par exemple, « appui-tête » : il justifie notre suggestion et annonce fièrement que les « deux réponses sont possibles, car elles correspondent toutes deux aux critères de l’énigme ».

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On peut aussi proposer des problèmes de logique plus longs, comme le choix d’un créneau horaire convenant à plusieurs personnes.
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ChatGPT s’en sort bien, la différence entre les versions gratuite et payante résidant dans leurs explications plus ou moins détaillées. En effet, ChatGPT4 décrit naturellement sa « chaîne de pensée », mais il est possible de le demander à ChatGPT3 en le précisant dans son prompt, ce qui l’aide à « raisonner ».

Qu’en est-il de Gemini ?

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Même s’il suggère trois propositions de réponse, Gemini échoue cette fois à cette énigme : il ne comprend pas quand les amis sont libres ou non, ni que l’on cherche un créneau où les trois sont libres en même temps (il aurait alors fallu le préciser dans le prompt).

Certes, certains chatbots donnent des réponses fausses, cela reste intéressant pour faire travailler l’esprit critique des élèves : ne pas prendre pour argent comptant les réponses de l’IA et s’entraîner à la logique.

Lui apprendre la logique

Parlant de logique justement, peut-on faire gagner notre chatbot préféré en qualité de raisonnement ?

Dans l’article ChatGPT décortiqué : du token à l’escargot, les secrets dévoilés, Thomas Mahier teste les connaissances et la logique de ChatGPT en lui proposant le problème de l’escargot qui veut sortir de son puits [5]. Il piège à plusieurs reprises l’IA en modifiant les paramètres du problème, et tente de l’éduquer par la suite.

Une méthode que l’on peut utiliser est celle qui exploite la technique du Step Back Prompting. Thomas la présente dans le second article dédié à l’escargot ChatGPT Réinventé : comment le faire philosopher pour améliorer ses résultats. Dans un premier temps, il demande à l’IA de décrire le raisonnement nécessaire pour trouver la solution au problème, puis il lui propose de répondre à la question.

Les résultats obtenus dans la création ou la résolution des énigmes peuvent donc être grandement améliorés selon les techniques de prompts utilisées.

L’IA n’ayant pas fini de nous étonner, cet article s’enrichira au fil des découvertes et créations de notre collectif et de nos collègues enseignants et formateurs.

Lire les autres articles sur L’IA et les escape games

[1Il est nécessaire de s’identifier pour communiquer avec un personnage.

[2Nous nous demandions si nous n’échangions pas avec un humain tant les questions posées étaient pertinentes et collaient à la réalité !

[3Application programming interface : c’est l’interface permettant de faire dialoguer l’application avec le service.

[4Il n’a visiblement pas compris que la lunette est aussi le siège des toilettes... Ou alors ce sujet serait un peu tabou pour son algorithme ? Autre paramètre : Gemini est capable d’aller chercher les réponses directement sur Internet, contrairement à ChatGPT, il a donc plus de chances de trouver la réponse rapidement mais sans assimiler le raisonnement... Un peu comme certains élèves et adultes ;-)

[5Si vous ne le connaissez pas, demandez à ChatGPT ou lisez l’article de Thomas Mahier.

Le logo de l’article a été créé avec Bing Image Creator.
Prompt : un robot et une femme en compétition amicale autour d’un jeu d’échec, style BD.